Editorial du journal Lutte Ouvrière du 27 Décembre 2012
Après le départ de Gérard Depardieu vers des cieux fiscalement plus
cléments, la polémique s'est enflée. D'autres vedettes s'en sont mêlées,
la plupart réclamant le droit de pouvoir faire ce qu'on
veut de son argent, qui récompenserait, disent-ils, les talents de
chacun. Se sont exprimés depuis, des politiciens de droite, des hommes
d'affaires, pour abonder dans ce sens. Par exemple, le
lunetier Alain Afflelou qui, dans une dérisoire tentative de voir plus
loin que le bout de son nez, a déclaré qu'il avait l'impression que
régnait en France un climat proche de celui à la veille de la
Révolution de 1789. Rien de moins !
Cette comparaison, un tantinet excessive, n'est pas si fausse que
cela, si l'on considère le comportement de la noblesse d'avant 1789 et
celui des aristocrates de la fortune d'aujourd'hui.
Ils considèrent eux aussi avoir tous les droits. Et en premier, celui
de ne pas accepter des lois qui, nous apprend-on sur les bancs de
l'école, s'appliquent à tous. Ils peuvent, on le voit en ce
moment, placer et déplacer leur argent où ils veulent et quand ils
veulent ; ouvrir ou fermer une usine du jour au lendemain, quitte à
laisser dans le besoin des milliers de gens, quitte à provoquer
la ruine de régions entières. Les lois sont faites en leur faveur. Et
quand l'une d'entre elles entrave quelque peu leurs trafics et leurs
combines, ils peuvent se payer les services de comptables, de
fiscalistes et d'avocats, qui sauront trouver les ficelles leur
permettant de s'en sortir.
Quant à leurs talents, parlons-en ! On peut discuter de celui de tel
artiste, de tel metteur en scène, de tel sportif, même si on a le droit
d'estimer que cela ne mérite pas les sommes
extravagantes qu'ils touchent. Mais quel est le talent de la famille
Mulliez, propriétaire des magasins Auchan, de Decathlon, ou d'un Bernard
Arnault, d'un Lakshmi Mittal, d'un Dassault, d'un Peugeot,
sans même parler d'un Bernard Tapie, qui refait surface aujourd'hui et
qui a fait l'essentiel de sa fortune en rachetant pour trois sous des
entreprises dont il jetait ensuite les salariés à la rue ?
Ils ont tous construit leur fortune sur l'exploitation de centaines de
milliers de travailleurs, en France et dans le monde entier, en
bénéficiant des multiples aides des gouvernements de tout bord.
De solides coups de main qui n'ont rien à voir avec les minables coups
de pouce que l'on a accordés aux smicards, aux handicapés ou aux
retraités.
Oui, c'est cette aristocratie de l'argent qui domine en France comme
dans d'autres pays. Elle n'est pas à plaindre, et pourtant c'est elle
que l'on entend à longueur de journées geindre et se
présenter comme victime. N'avait-on pas entendu, il y a quelques
semaines, un membre de la famille Peugeot se lamenter de la situation de
son groupe, qui se trouvait, à l'écouter, au bord de la
faillite, pour quémander une garantie de 7 milliards à l'État afin de
sauver la banque de ce groupe ? Lakshmi Mittal n'a-t-il pas osé déclarer
qu'il était à tort accusé de n'obéir qu'à la logique du
profit, alors qu'il ne songeait qu'au bien-être de tous ? Ces
milliardaires fossoyeurs d'emplois utilisent l'affaire Depardieu pour
joindre leur voix au chœur des riches pleureuses des deux sexes qui
se lamentent sur l'abominable sort qui, selon eux, serait réservé aux
très riches en France.
Ne nous laissons pas abuser par cette campagne médiatique -- car c'en
est une -- qui voudrait nous faire croire que nos exploiteurs ne
devraient leur situation qu'à leur talent. À les entendre, il
faudrait leur dire merci de nous donner un travail pour un salaire de
plus en plus maigre et, dans cette même logique, se résigner et se taire
quand ils suppriment cet emploi.
Rassurons les Afflelou et autres Depardieu de tout acabit : sans
doute ne sommes-nous pas, malheureusement, à la veille de la prise des
bastilles actuelles. Mais la colère est là, qui monte,
alimentée par les agissements de tous ces féodaux modernes, par leur
cynisme et leur arrogance. Et cette colère, elle éclatera, tôt ou tard.
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